Primates


2009 - 2010

A series of sixteen photographic works, inkjet on paper

110x137,5cm - 1/3+AP and 60x80cm - 1/5+AP


Il y a, dans la démarche de Ruben Brulat, quelque chose de romantique, au sens dix- neuvièmiste du terme. Son travail est celui d’un solitaire, exalté et mystique, lancé dans une quête qui le confronte aux limites et lui ouvre les portes d’une appréhension nouvelle du monde.
Autrefois, à la suite d’Amiel, toute une génération avait proclamé que « chaque paysage est un état d’âme », et plongé son regard dans des perspectives sans fin, accidentées comme la vie, torturées comme le sentiment humain. Une fascination que l’on retrouve nettement dans cette nouvelle série de photographies, intitulée Primates.

Pourtant, quand un Friedrich suggérait la grandeur humaine en représentant une silhouette anonyme absorbée dans le spectacle d’une mer de nuages, Brulat, lui, renverse l’expérience, en l’immergeant dans la réalité. Chez lui, il ne s’agit plus d’évoquer la grandeur d’un caractère, mais celle de la Création elle-même, où l’humain, en tant qu’espèce, cherche sa place.

Parmi les rochers, la neige et la glace hostiles, peu disposés à accueillir la vie, voici un corps sans identité, totalement nu et démuni. Parviendra-t-il à se fondre dans ce décor, dans cet infini d’accidents ? Saura-t-il s’apparenter à la bête qui, établie en son milieu, règne sur son territoire ? Elle est bouleversante, la tentative désespérée de cet être de faire corps, justement, d’être accepté, ou ré-accepté, par une matrice dont la substance humaine est étrangement exilée. Le voici ravalé au rang d’espèce, comme un homme d’avant les millénaires, forcé de se connaître et de s’adapter aux déterminations extérieures qui ne sont que menaces.

Car il est impossible de faire abstraction des conditions de la réalisation de ces clichés : la prise de risque, l’émotion intense, la féerie et l’exploration des limites sont palpables. On perçoit que l’artiste répond à tous ses instincts, qu’il s’offre tout entier et se laisse atteindre par les choses. Si parfois un coussin de neige semble plus accueillant, plus moelleux, le spectateur ne peut réprimer le frisson que déclenche en lui ce corps soumis sans défense à la dévoration des éléments. Il ressent l’urgence, l’impossibilité de penser, mais aussi la rapidité et la volupté inattendue de l’action.

Certes, il ne se crée pas l’illusion que la fusion avec la nature soit possible sans lutte ni conditions. Mais cette série raconte une quête, avec son lot d’espoirs déçus et de tentatives avortées, et au bout du chemin, un fugace mais incontestable triomphe. Celui d’être parvenu, ne serait-ce que pour un instant et dans l’ivresse du moment, à créer la symbiose : lorsque la figure humaine, comme apaisée, semble se confondre avec un éboulis rocheux, flotter sereinement à la surface d’une nappe d’eau noire aux côtés d’une croûte de glace, ou trouver refuge au creux d’un tapis d’herbe tendre, au vert dense et profond.

par Dan Nisand, écrivain.